La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Ce mois de mai 2025, les éditions Bruno Doucey fêtent leur 15 ans d’existence. Une longue aventure que j’ai partagé depuis ses débuts par l’amitié et des collaborations. C’est l’occasion durant quelques jours de célébrer cet anniversaire en mettant le projecteur sur les livres et les auteur(e)s de cette maison, emblématique de l’engagement et de la vitalité de la poésie la plus contemporaine, de l’ouverture au monde et du souci de le préserver contre les rapaces et les destructions de toutes sortes.
Katerina Apostolopoulou
Il s’appelait Fotis
Une légende de notre enfance
L’homme qui écoutait l’âme de la ville
Nous avons grandi avec cet être étrange
Qui errait parmi nous
Personne ne se souvenait du jour
Où Fotis avait tout laissé derrière lui
Pour devenir l’ermite de la colline
Lorsqu’il était jeune
Il était cordonnier
Était-il possible que Fotis ait été jeune un jour
enfant
comme nous ?
Il faisait du bon travail
Et son affaire marchait bien
Mais il donnait tout ce qu’il gagnait
À qui avait plus besoin que lui
Il a dû fermer la boutique
L’année juste avant les grands tremblements de terre
– nous n’étions pas encore nés –
Il s’était marié avec une femme belle et douce
Ils s’aimaient comme des fous
Elle était morte subitement
Fotis a abandonné sa maison
ses papiers
sa carte d’identité
le peu de biens qu’il possédait
Il a quitté la ville
A disparu
Plusieurs mois plus tard
Des pêcheurs racontaient l’avoir croisé en banlieue
près de la mer
Sortant d’une grotte taillée dans la colline
Petit à petit
Il s’est transformé en vague
Qui traversait la ville le jour
Mouillait tous les quartiers de ses bonjours
Et de son regard frais
Et puis le soir
Se retirait.
In J’ai vu Sisyphe heureux, © Bruno Doucey, 2020
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Louis-Philippe Dalembert
témoignage
un jour
j’ai poussé les portes de l’aube
et je me suis assis
sous une véranda
face à la mer caraïbes
avec pour unique compagne
une petite chaise de paille
que je trompe par moments
que je trompe parfois
les soirs d’averses violentes
quand les lampes
ont cessé leur dialogue
avec une dodine de paille
et les âcres étoiles
d’un rhum de canne
et là
face à la mer
nos conciliabules muets
attendent chaque fois
de remonter l’enfance
de son vagabondage
l’adolescence aussi
de ses utopies
qui tardent à s’éteindre
un jour
j’ai poussé les portes de l’aube
depuis je vois le monde
à travers ses rayons
pâles d’ombre et bleus de nuit
sans les effusions
de mes blessures
ce jour-là
face à la mer caraïbes
j’ai rêvé d’un poème
qui nulle part ne commence
ou alors de l’enfance
et nulle part ne finit
jacmel, 13 juillet 2006
In Cantiques du balbutiement, © Points, 2020
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Contribution de PPierre Kobel